Moi, Aurèle Gagnon, à l'aube de mes 80 ans, je veux faire un retour sur ces nombreuses années de ma vie et ainsi peupler ma solitude actuelle de souvenirs variés, pas toujours roses, il est vrai de le dire, mais tout de même assez intéressants puisqu'ils n'ont pas encore réussi à abattre le vieux chêne que je suis, mais...pour combien de temps encore? Je suis né en hiver à Tingwick, le 28 janvier 1917, donc durant la guerre mondiale 1914-1918. Je fus baptité le lendemain: mon parrain était mon frère aîné, Aimé; ma marraine était ma soeur Angéline; ma tante Ludivine McNeil-Ouellette, soeur de maman, me portait dans ses bras. Pour une bonne dizain d'années, ce fut pour moi la vie calme et paisib1e sur notrre terre à Tingwick. Nos jeux d'enfants n'étaient pas compliqués: le traîneau en hiver avec notre vieux chien Tag et la balle en été; nous aimions aussi jouer à la cachette, à la tague, autour de la laiterie et c'était si amusant. Il me faut dire que l'école du rang était tout près de notre maison; un petit ruisseau la séparait. Nous aimions marcher nu-pieds dans ce ruisseau durant l'été, y pêcher quelques petits poissons ou encore y glisser sur la glace en hiver. Que de bons souvenirs de nos récréations à l'école! De ces belles années, je me souviens de nos parties de boxe avec de vrais gants de boxe. Les jours de pluie, nous aimions jouer au magasin ou encore à la messe. Pauvre maman, comme nous devions alors mettre sa maison à l'envers; aujourd'hui je me dis qu'elle devait être bien heureuse de nous voir nous amuser ainsi ensemble. A onze ans, "j'ai marché au catéchisme", cela veut dire quel, durant un mois, au lieu d'aller à l'école, nous nous rendions filles et garçons de 4e année à l'église où, dans la sacristie, les prêtres nous enseignaient un supplément de religion en vue de notre Communion solennelle. Aujourd'hui on parle plutôt de profession de foi à cette période du cours élémentaire. Il fallait savoir par coeur les 508 réponses de notre catéchisme; personne n'y manquait et c'était un point d'honneur, au moins la mémoire était cultivée. Pour moi, durant ce mois, je logeais avec ma soeur Eveline à l'école du village où elle enseignait du lundi au vendredi. Le samedi et le dimanche, nous les passions chez nous sur la terre où vivaient nos deux frères Aimé et Wilfrid encore célibataire. En cette année 1927, nos parents avaient élu domicile à Montréal. Après ce mois de catéchisme, je retournai vivre avec mes parents et, en septembre suivant, je fréquenai l'Ecole Côté des Frères des Ecoles Chrétiennes. Ensuite mes parents me placèrent pensionnaire dans un Collège à Laval, chez les Frères Maristes; de là, je suivis un cours de comptabilité au Collège Elie. J'avais alors 15 ans et une bien grosse épreuve m'attendait qui devait orienter ma vie autrement. Après quelques mois de maladie, mon père mourut le 10 janvier 1932 des suites d'un cancer à l'estomac. Il fut inhumé le 14 janvier à Tingwick près de notre chère petite soeur Alice, décédée sept ans auparavant. Faute de moyens financier, j'avais dû abandonner mes études; étant trop jeune pour travailler en ville, retourna vivre sur la terre à la campagne. Après la mort de mon père, maman eu une première attaque de paralysie alors qu'elle était en voyage chez nos deux soeurs Ida et Angéline à Central Falls. J'ai essayé de m'engager ici ou là chez des cultivateur mais à un salaire ridicule: le logis, des repas où je ne pouvais même pas rassasier ma faim. En ces années de crise économique, tout le monde était pauvre. Malheureusement pour moi, j'avais appris à fumer à la cachette, bien sûr. Ici, j'ai le goût de raconter un petit fait qui me fait rire aujourd'hui. Peu avant le décès de mon père, je voulus aller le voir. Me sentant déjà un petit homme, j'avais une cigarette dans ma poche de chemise. Mon père me dit: "Mon garçon, tu veux fumer, prends cette pipe et ce tabac, mais pas de cigarette." Ce dernier conseil de mon père de ne pas fumer de cigarette, je le suis, mais seulement depuis 10 ans. En 1932, on payait 5 sous pour un paquet de tabac et le papier nécessaire pour enrouler la cigarette. Dois-je dire que ma soeur Antoinette m'a aidé dans ma désobéissance à mon père? Mais oui, de Montréal où elle travaillait, elle m'envoyait des cigarettes chez mon oncle Arthur Caron, en grand secret. Dommage, bien sûr, je n'aurais jamais dû commencer. Aujourd'hui je suis content d'avoir abandonné de fumer et je ne conseillerais à personne de commencer à le faire. Lorsque maman décida d'aller demeurer chez ma soeur Antoinette, j'essayai de me trouver un emploi à Montréal. Ce fut d'abord au cimetière de la Côte des Neiges. Ce n'était pas gai du tout de déterrer des tombes non réclamées et qui contenaient encore des ossements de corps humains. J'en avais plein mon chapeau et parfois un frisson de peur. Je me trouvai ensuite un emploi à la cuisine de l'Hôpital du Sacré Coeur à Cartierville. Je garde de bons souvenirs de cette maison. En 1939, j'ai 22 ans; c'est la deuxième guerre mondiale; tout le monde en parle. je serai appelé sous les armes, c'est certain. Finalement je décide de me présenter comme volontaire. Donc de 1939 à 1945, je serai soldat durant 5 ans et 11 mois. Je fus classé dans la Police Militaire, section Prévost. Je fis mon entraînement à Saint-Jérôme puis à Farnham et par après au Camp Borden en Ontario. A ce dernier endroit, on préparait les "M.P.", pour outremer, là où se trouvaient les combats, la vraie guerre contre les allemands. C'était très dur cet entraînement au Camp Borden. J'ai eu la bonne fortune de demeurer au pays. Toutefois ici au pays, la tâche n'était pas facile. Les "M.P.", comme on nous appelait, nous avions comme mission d'accompagner les régiements dans leurs allées et venues, de maintenir l'ordre et d'aller à la recherche des déserteurs. Je vous assure que ce dernier travail n'était pas de tout repos. Un jour, on m'envoyal avec une liste de déserteurs à Warwick, paroisse voisine de Tingwick où, bien sur, j'étais bien connu. J'ai protesté; "Mais, c'est par chez-nous". Inutilement, il fallait obéir et me rendre à Warwick. Aussitôt on me reconnut comme un traître; pensez donc j'étais là pour arrêter des concitoyens. Quelle affaire! J'ai dû me cacher dans une grange et ensuite il m'a fallu appeler la Police montée pour me tirer de tous ces gens en diable contre moi. Dans l'armée, il faut obéir coûte que coûte. Enfin ce fut le retour à la vie civile après l'armistice à l'automne 1945. En ces années de guerre, je rencontrai au parc Lafontaine de Montréal celle qui devait devenir ma femme: Martine Roy. La décision fut rapide; je désirais un chez moi au plus vite et c'était bien normal. Nous noous sommes mariés le 15 janvier 1941, à l'église Saint-Louis-de-France. Nous avons logé sur la rue Wolfe à Montréal. Dans l'armée, le salaire était mince: $1.30 par jour... heureusement ma femme était très économe et nous avions à coeur de ne pas faire de dette. Ici je veux rendre un hommage bien mérité à ma chère Martine. Nous avons vécu 55 ans de partage conjugal et, je vous l'avoue, la maison me semble bien vide depuis son départ pour là haut. Des talents de maîtresse de maison, je crois qu'elle les avait tous. Excellente cuisinière, couturière numéro un, elle tenait notre maison dans une très grande propreté et, avec cela, économe en tout. Elle était aussi une artiste-amateur; son plaisir, c'était de décorer. Elle aimait le beau et c'était plaisir de lui apporter un petit quelque chose acheté soit dans un marché aux puces soit dans une vente de garage ou de trottoir. Voilà ce qui explique les nombreuses décorations entassées dans notre maison après plus d'un demi siècle de ménage. En quittant l'armée, je travaillai d'abord dans un clos de de bois, ensuite je fus vendeur de pains puis j'entrai comme aide dans un garage. Par la suite, j'entrai dans la brasserie Molson, toujours à Montréal, où j'ai travaillé soit de jour ou de nuit, durant cinq ans. J'aurais dû garder cet emploi mais j'avais du goût pour les autos et je me fis garagiste d'abord à Longueuil et ensuite à la Pointe-aux-Trembles. Ce ne fut pas un succès, la chance ne me favorisa pas. C'est alors que je me lançait dans la rénovation des maisons par l'aluminium. J'ai aimé ce travail au grand air, qui m'a fait voyager de Montréal à Joliette et jusqu'à Sherbrooke. Mes collaborateur étaient parfois mon fils et quelques uns de mes petits fils. Enfin j'ai 65 ans et nous sommes un 1982. Je prends le parti d'offrir encore mes services au Corps de Police Prévost auquel j'appartenais durant la guerre '39-45'. On m'offre un emploi de gardien de nuit dans un Edifice Fédéral non loin de chez moi à Longueuil. Je gardai cet emploi jusqu'en 1987. Vers ce temps-là, ma femme Martine avait vraiement besoin d'aide à la maison; sa santé se détériorait et il me fut nécessaire de renoncer à tout travail à l'extérieur pour devenir ce que je suis encore en 1996, responsable à plein temps du travail dans notre logis. J'ai rempli aussi le rôle de garde-malade, jour et nuit, auprès de ma femme durant ces années qui ont précédé son décès en février dernier. C'est inoubliable, qui peut me comprendre? LES CATASTROPHE DANS MA VIE: Oui, j'en ai eues. J'appelle cela des temps forts où les problèmes me débordaient et me rendaient la vie bien pénible. Voici quelques unes de ces catastrophes: Alors que je travaillais à la brasserie Molson, une certaine soirée, le fleuve déborda et notre maison fut entièrement inondée. Nous avons tout perdu, sauf les deux sacs d'école de nos deux petites filles déposés sur des chaises qui flottèrent sur les eaux qui couvrirent l'intérieur de la maison. Losqu'on vint chercher ma femme et mes enfants en chaloupe, il fallut ouvrir la porte et c'est alors que l'eau s'engouffra à l'intérieur de toute la maison et presque jusqu'au plafond. C'était le printemps,à la crue des eaux et nous y avons goûté pleinement. D'autre familles eurent le même sort. C'est inoubliable. Le décès accidentel de notre fille Denise, une gentille enfant de 9 ans, écrasée sous un camion tout près de notre résidence à Longueuil. J'aime mieux n'y pas penser. Quelle dure épreuve! Elle était la joie de la maison, notre aînée, une petite mère pour les plus jeunes. Peu après, ce fut une bien grosse perte matérielle. J'avais commencé à bâtir notre propre maison. Encouragé par mon curé, j'avais fait confiance à un homme influent de la place pour un emprunt nécessaire. Cet homme nous a trompés et encore là je perdis toutes mes économie en plus de ma maison; il nous fallait encore recommencer à neuf. J'essayai alors de diriger un garage, mais la chance ne me favorisa pas. Il me faudrait oublier tous ces échecs, mais ce n'est pas facile. MES ACCROCS DE SANTÉ. Oui, j'en ai eus. Le croirez vous, j'ai été opéré pas moins de onze fois. J'énumère: 1. Pour mes amygdales. 2. Pour un péritonite. 3. Pour pierres aux reins. 4. Pour une phiébite au tube sanguin. 5. Pour une tumeur cancéreuse aux intestins. 6. Pour une cassure à la main dont je me ressens encore. 7. Pour la prostate. 8. 9. 10. Pour des cataractes. 11. Enfin dernièrement, et pour la deuxième fois, pour une hernie dans l'aine. Donc, 12 fois entre les mains d'un médecin chirurgien et... le vieux chêne est encore debout. MA FAMILLE. En me mariant, j'ai adopté légalement Françoise, la fille de ma femme Martine Roy. Je me souviens qu'elle était une gentille fillette de sept ans, une jolie brunette pleine de talents. Puis, nous avons eu Denise, en 1942. Elle décéda le 22 août 1952; Colette nous arrivait le 4 mars 1944; puis ce fut un garçon, Gilles, né le 8 août 1946; enfin la dernière, Diane, née le 27 septembre 1947. Je laisse à mes enfants le soiin d'écrire eux même les divers événements susceptible d'intéresser la généalogie familiale. Ici, je veux ajouter quelques mots sur les derniers jours de ma femme. En décembre 1995, elle se cassa un bras et elle fut hospitalisée. Revenue à la maison en janvier, il devint nécessaire de l'hospitaliser à nouveau au début de mois de février. Elle avait besoin de beaucoup de soins et l'hernie dont je souffais depuis quelques mois ne me permettait plus de lui aider suffisamemnt. Elle décéda à l'hôpital Pierre- Boucher,le 18 février à 8h45 du soir. Ma femme avait reçu l'Onction des malades vers quatre heures de l'après-midi. En ces jours-là, j'étais moi-même hospitalisé à l'hopital Charles-Lemoyne à la suite d'une urgence pour des transfusions de sang. Mes enfants furent avertis du danger où se trouvait leur mère ce soir-là, mais seul, Sylvain, notre petit-fils, put arriver à temps pour recueillir son dernier soupir. Moi-même je le sus plus tard... Ici, je veux remercier Sylvain. Que de bon services il a su nous rendre et qu'il me rend encore. C'est témoignage qu'il mérite très certainement: Je peux compter sur lui en tout temps. Ma femme fut incinérée le 21 février et inhumée le 14 mai suivant au cimetière Saint Charles à Longueuil, près de notre petite Denise et de Claude Béland, le mari de Françoise. QUE DE SOUVENIRS ET... LA VIE CONTINUE. A noter: Ma soeur religieuse Eveline est venue passer quelques semaines avec moi, après le décès de ma femme. Nous avons causé ensemble, elle a pris des notes. Ensuite elle a rédigé ces pages. Je les ai lues et je les trouve conforme à la vérité... Je le certifie, moi Aurèle Gagnon Juin 1996 INHUMATION DE MADAME MARTINE ROY GAGNON au cimetière de Longueuil 14 mai 1996. C'était un mardi à 10h30 de l'avant-midi. J'avais invité le Père Rodrigue Roberge à présider les prières d'usage en pareille circonstance. J'aime rappeler ici les noms de ceux qui m'accompagnaient en cette heure si pénible. Mes enfants: Françoise, Colette, Gilles et sa femme Josée, Diane. Mon frère Réal et sa femme Fernande. Ma soeur religieuse Evéline. Mes petits-enfants: Sylvain, Jimmy, Marie-France et ses deux filles Ma belle-soeur Madame Noëlla Lupien-Gagnon. Mes neveux: Fernand et Solange Major, Gérald et Thérèse Gagnon, Gertrude et son fils Denis Gagnon, François et Michel Gagnon. Un bien beau groupe de personne, tous bien sympatiques autour de moi et de ce petit monument sur lequel nous pouvions lire: Denise, ma fille, Claude, mon gendre et le mari de Françoise, et Martine, ma bien chère épouse. Après les prières, Gilles, mon fils, présenta l'urne au fossoyeur C'est alors que ma soeur voulut prendre la parole. "Au nom de mon frère Aurèle, de sa famille et en mon non personnel, je désire remercier le Père Rodrigue Roberge, compagnon de classe... Fin.