LES MORIN… SOUVENIRS DE JEANNETTE BOUTIN MORIN =============================== LOUIS (Pierre) MORIN Mon arrière grand-père, et le père de Mathilda. À l'époque de son mariage avec… Abel , il vivait à Saint-Norbert d'Arthabaska. Sa famille était-elle établie à cet endroit? Je n'en sais rien. Donc, il était cultivateur. Un jour, de passage au bureau de poste à Victoriaville, ou à Arthabaska, il retira de la poste une lettre destinée à un beau-frère et l'ouvrit, car il y était question d'une endossement pour lui-même, ou quelque chose de semblable, et ayant pris connaissance de la lettre, il avait à régler des affaires sur place. Cela évitait un voyage inutile à la ville. Belle naïveté! Le beau-frère n'avait pas la reconnaissance facile! Il poursuivit le grand-père en justice pour la somme de cinq cents dollars, une fortune à l'époque. Grand-père apprit à ses dépens que même pour rendre service, le courrier est inviolable. Il fut forcé de vendre sa terre et acheta un lot dans le 6e rang de Tingwick, un lot en " bois debout ". Il partit avec son beau-frère Roberge et quelques autres colons qui connurent au début une existence très dure. Pour obtenir un peu de monnaie sonnante, ou effectuer des échanges de marchandises, les colons fabriquaient de la potasse (cendre de bois) qu'ils portaient, sacs au dos, à Danville, chez des marchands anglais. Ils revenaient à pied, transportant de la mélasse, de la farine ou autres provisions. Ainsi le 6e rang marqua l'établissement permanent de canadiens dans la paroisse irlandaise de Tingwick. La prospérité récompensa les efforts de grand-père qui était relativement à l'aise, vers la fin de sa vie. Et, selon l'usage il se " donna ". Ce fut son gendre Charles Roux qui hérita des biens de Pierre Morin. Le vieux couple, installé au village, dans une maison voisine de la nôtre (celle d'Henri Boutin) et incendiée plus tard, recevait des provisions alimentaires du genre : légumes, viande, plus du bois de chauffage et les services d'une petite-fille pour l'entretien de la maison. Tout alla bien jusqu'à la mort du vieillard, mais sa veuve fut négligée et subit beaucoup de privations. Devenue aveugle, elle fut recueillie par son fils Georges. Louis (Pierre) Morin a laissé le souvenir d'un homme juste, d'une droiture de caractère peu commune. " Parole donnée était sacrée " disait-il. Mon beau père Georges parlait de lui avec un très grand respect. Enfants : Louis Morin émigra aux Etats-Unis. Jean Morin émigra aux Etats-Unis. Henri-Georges Paul Morin vécut à Tingwick. Il épousa Philomène Turgeon Mathilda Morin, épouse de Victor Leblanc Alma Morin épousa un Viens, et fut la mère de Vérina, qui passa plusieurs vacances d'été à Tingwick, chez l'oncle Hormisdas Leblanc. Clarisse Morin, épouse de Pierrot Hinse. Souche de nombreuses familles Hinse de Tingwick. Dina Morin, épouse de Charles Roux. Nombreuse descendance. Lumina Morin épouse de Georges Viens. Pas d'enfant. Amanda Morin épouse de Pierre Carignan, de Tingwick. Plus tard le couple émigra aux Etats-Unis La légende d'Amanda domina beaucoup de souvenirs. Gaie, vivante, maladive, mère d'une nombreuse tribu, elle était douée d'une grande vivacité. On raconte qu'elle se faisait suivre de sa nombreuse progéniture dans les veillées de famille. Venus en " bob sleigh ", un soir, les Carignan oublièrent un bambin dans les couvertures de laine du sleigh. Ne le trouvant nulle part, au cours de la soirée, on découvrit le bébé à l'endroit où il était resté, tout endormi! =================================== JEAN-BAPTISTE MORIN (Johnny) Fils de Pierre. Beau, intelligent, Jean, le dernier de la lignée, eut la chance de faire un cours classique au séminaire de Nicolet. Mais trois fois hélas! Il se découragea avant la fin des huit années d'études, renonça au rêve de prêtrise et s'en fut aux Etats-Unis. On raconte qu'il revint au pays au temps des fêtes accompagné d'une fille qu'il présenta comme sa femme récemment épousée; la blague fut déclarée au moment de se retirer au lit. Grand scandale! Il épousa une femme très laide, eut deux filles dont l'une, Antoinette revint faire connaissance de la famille, vers 1939-40. Elle habitait Worcester, Massachusetts. ==================================== CLARISSE MORIN Fille aînée de (Pierre) Louis. La bonne tante Clarisse! Elle habitait à deux pas de chez nous, avec son mari Pierre Hinse et leur fille Rosa. Cette dernière était un peu plus jeune que ma mère. Deux femmes bavardes, joyeuses. Elles étaient des amies intimes de la famille. Rosa, une bonne grosse fille qui respirait la joie de vivre, venait souvent à la maison rejoindre parfois la tante Laura, et on riait à gorge déployée pour tout et pour rien. Et un jour, Rosa décida de se marier avec Donat Courtois, un colon de Saint-Rémi. Elle avait vingt-huit ans. Ce fut la fin des relations chaleureuses avec les Leblanc sans qu'il y eut de dispute. Saint-Rémi était perché dans les montagnes ou plutôt les collines et les Courtois, très pauvres, venaient rarement au village. Tante Clarisse devient aveugle, comme sa mère. Elle mourut chez sa fille Rosa, à un âge très avancé. Rosa finit ses jours au Foyer de Warwick, l'an dernier (1980) je crois. Pierre Hinse, " Pierrôt ", était aussi taciturne que sa femme était loquace. Chaque soir, avant de se mettre au lit, il allait vider sa vessie à l'extérieur, pieds nus sur la neige l'hiver. Cela ne le fit pas mourir, loin de là. La famille Hinse est innombrable. Joseph, Philippe, Nérée, Georges, laissèrent des descendants à Tingwick. ===================================== DINA Une autre fille de Pierre Morin. Elle avait épousé Charles Roux, cultivateur. Leur descendance est nombreuse. Enfants : Edgar, Oscar, Hector, Emelia; qui épousa Richard Moreau et mourut après deux ans de mariage, Alexandrina; mariée à Joseph Hinse, du Chemin Craig; Exilda? Épouse de " X " Guillemette, également de Tingwick. Proches parents, les Leblanc et les Roux s'entendaient fort mal. D'ailleurs, je n'ai pas connu Dina, décédée avant ma venue en ce monde. Elle a laissé la réputation d'une ménagère "très propre ", très exigeante. Cela ne lui donnera aucune chance de paraître au calendrier des célébrités! L'oncle Charles se remaria avec une dame Houle. Il y aurait beaucoup à dire sur l'oncle Charles Roux, marchand de bestiaux qui exerça une influence très grande sur la population de Tingwick et des localités avoisinantes. Organisateur du parti libéral, il était abonné au Soleil de Québec, qui lui apportait des informations partiales et biaisées, informations qu'il répandait dans ses relations d'affaires avec les cultivateurs illettrés. Tingwick était " rouge " sauf mon père un "maudit bleu ". Il faut dire que l'oncle tenait son monde bien en main à cause aussi des comptes en souffrance à son magasin général. L'oncle Charles était fin, rusé, sans scrupules. Sa terre s'étendait au pied de la colline du village. Autre chose, Charles Roux était automatiquement l'adversaire des curés : Jutras, Bourbeau, Lassonde. À la messe du dimanche, il dormait à poings fermés durant le sermon,, qui était fort long à l'époque. Enfants : Oscar, Edgar, Hector, Rosario, Emélia, Exilda (femme Guillemette), Alexandrina; épouse de Joseph Hinse ==================================== (HENRI)-GEORGES MORIN 1865 - 1955 Il avait l'habitude de dire qu'il était né la même année que le roi GeorgesV, Vrai ou faux? Né à Tingwick, il vécut toute son enfance dans cette localité, s'y maria à dix-neuf ans avec Célina (Justine) Nadeau, et alla s'établir à Saint-Adrien de Ham, où il exerça le métier de forgeron pendant…six mois. Où avait-il fait son apprentissage? Mystère. Homme d'affaires, il ne l'était pas. Là-bas, les clients oubliaient de le payer et lui n'osait pas demander son dû. Donc, il ferma boutique et revient à Tingwick où il obtint l'emploi de bedeau, ou sacristain. C'était au temps du curé Jutras, un prêtre très cultivé qui laissa d'inoubliables souvenirs dans cette paroisse. Nommé à la Baie-du-Febvre, le curé emmena la famille Morin avec lui, mais hélas! L'extrême humidité du climat força (Henri)-Georges à renoncer à cet emploi et aux avantages qu'il en eût retiré pour sa famille et vint s'installer à Montréal, dans le quartier Saint-Henri d'abord, puis à Ville-Emard, alors un village périphérique. Il fit tous les métiers pour subsister; menuisier, peintre, etc. et enfin, retour au passé, il fut sacristain à Notre-Dame du Perpétuel-Secours, à Ville-Emard jusqu'à l'âge de soixante-dix ans, alors qu'il prit sa retraite, pour être remplacé par son fils Hector, alors chômeur. Deux ans plus tard, il céda sa maison à Frank Dubuc, qui installa le vieux couple dans un grand appartement de la rue Mazarin; puis tout le monde, les Dubuc et les vieux grands-parents, allèrent vivre à Saint-Nicolas, près de Lévis. La grand-mère Morin décédée, Frank Dubuc transporta ses pénates à LaSarre, Abitibi. Le grand-père suivit à regret, et devenu sénile, il fut largué dans un hôpital pour vieillards, où il mourut. Il est enterré à Saint-Nicolas, près de sa femme bien-aimée. Voilà en substance la carrière de Georges Morin. C'était un homme bon, très intelligent, aux allures de gentilhomme. Au physique, il était plutôt petit, costaud; des yeux de braise donnaient de la beauté à son visage irrégulier. De caractère violent, il était devenu très doux dans sa vieillesse, très doux mais très fier, d'une grande piété, d'une grande générosité aussi. Son enfance assez heureuse s'était passée sans autres histoires que celles causées par sa timidité. Il était brun, ce qui ne convenait pas aux critères de beauté de ce temps où l'on n'admirait que les blonds. Alors, la mère le cachait aux yeux des visiteurs, sous prétexte qu'il n'était pas beau! Il en devient très timide. Vers l'âge de douze ans, le curé de la paroisse voulut, avec le consentement du père, l'envoyer au séminaire de Nicolet pour suivre le cours classique du temps. Le garçon refusa obstinément, car il se sentait incapable d'affronter des étrangers et de partager les repas avec ces gros méchants. Beau résultat d'une éducation négative. Alors il faut condamné aux petits métiers malgré sa brillante intelligence. Selon l'usage du temps, le père, Louis Morin, devait céder la terre à l'un de ses enfants, se " donner " comme l'on disait dans le temps, aller vivre au village près de l'église. Au lieu de faire confiance à son fils Georges, une rancune peut-être après l'échec de Saint-Adrien de Ham, il fit confiance à Charles Roux, mari de Dina Morin, un fin renard, rusé, sans scrupules, et fit un marché de dupes. Aussi longtemps que Louis vécut, tout alla bien, mais la grand-mère restée veuve, aveugle, fut négligée par Charles Roux, qui oubliait de lui envoyer des légumes et de la viande, qui, surtout, oubliait de l'aider, c'est-à-dire de forcer l'une de ses filles à tenir compagnie à la grand-mère. Dans cette situation désolante, les Georges Morin vinrent au secours de la pauvre femme et l'hébergèrent pendant plusieurs années, jusqu'à sa mort (gratuitement selon toute probabilité) =================================== CÉLINA NADEAU MORIN Épouse de Georges Morin, donc ma belle-mère Célina était originaire de la Beauce. East Broughton peut-être. Par quel hasard vint-elle s'établir à Tingwick, l'histoire ne le dit pas. Ce fut probablement parce que sa sœur aînée avait épousé un cultivateur de Tingwick, dénommé Bossé , où ils vécurent pendant quelques années, avant d'émigrer aux Etats-Unis, à Laconia, N-H. Célina devint orpheline de mère à l'âge de neuf ans. Elle alla vivre chez son frère, déjà marié, mais les belles-sœurs ne s'entendaient pas; alors le père plaça sa fille, après deux ou trois ans, dans une famille d'accueil où elle fut traitée durement. Moyennant quelques services, on lui donnait en retour une pension complète, les vêtements compris. Mais la vie était dure et sans pitié; Célina marchait pieds nus sur la terre gelée à l'automne, parce qu'elle n'avait pas de chaussures. Sa sœur aînée, institutrice, la tira de ce guêpier, en prenant charge de sa petite sœur. Elle gagnait soixante-quinze dollars par année, logeait à l'école et payait son chauffage. Elle avait néanmoins le cœur assez grand, pour partager avec sa petite sœur, ses maigres ressources. Cela se passait à Tingwick je crois. Célina garda une reconnaissance profonde pour sa sœur et lui rendit service plus tard en recevant tour à tour ses filles, des névrosées qui trouvèrent un refuge chez leur bonne tante, et cela durant plusieurs mois. La première, Marie-Louise, avait été religieuse à l'Hôtel-Dieu d'Arthabaska, pendant environ six années, et on la renvoya chez elle, à la veille de la profession définitive. Son esprit s'égarait; la famille criait à l'injustice, mais il semble que Marie-Louise était anormale. Lorsqu'elle était contredite, elle marmonnait entre ses dents : " Maudit, maudit, maudit ". Voilà où en était rendue la sainte religieuse. Elle entassait des fruits ou des objets hétéroclites dans une malle fermée à clé, très tôt le matin elle sortait sur le perron et suppliait les passants de la conduire à l'église. Elle ne pouvait alors franchir la frontière américaine, n'étant pas naturalisée. On obtint après deux ans une place dans un hôpital psychiatrique où elle mourut assez jeune. Garder cette pauvre fille était une œuvre héroïque, que seule une femme au grand cœur comme Célina pouvait accomplir. La seconde fille des Bossé était une obsédée : elle se croyait damnée et tombait dans des accès de mélancolie insurmontables. Elle séjourna environ sept mois chez les Morin. Quant à la troisième je l'ai oubliée. Une autre, Mélina, resta en relations étroites avec les parents du Québec. C'était une charmante femme qui comblait de cadeaux son filleul Jean-Paul, le fils d'Alice Morin Dubuc. Revenons à notre personnage. Vers l'âge de quinze ans, Célina, alors Justine, partit pour les États. C'était une adolescente sans charme, plutôt laide, on la surnommait " la laide (lette) ", indépendante, puisqu'elle croyait sérieusement qu'on ne l'aimait pas, sans timidité et très innocente. Un monsieur X la conduisait en boghey à la gare de Warwick. Sur la route de Powerstown (Postonne), il s'arrêta soudain, et lui demanda : " As-tu peur? ". " Pourquoi aurais-je peur? " répondit-elle intriguée. Son compagnon comprit alors que la jeune fille était tout à fait ignorante des " choses de la vie "; il lui donna de judicieux conseils, lui recommanda de ne pas placer sa confiance sans examen et coetera. Célina lui garda à lui aussi une reconnaissance profonde. Le séjour aux États-Unis ne fut pas facile. À seize ans, Célina tomba malade et fut au repos pendant près d'un an. Les gens qui l'hébergaient la gardèrent gratuitement tout ce temps. Encore de la reconnaissance à emmagasiner. À vingt et un an, Célina vint en vacances à Tingwick chez sa sœur. Elle fit connaissance de Georges. Pour lui, ce fut le coup de foudre, mais Célina ne croyait pas qu'on put l'aimer pour elle-même. Elle devait repartir après deux semaines, au grand désespoir de Georges; mais Célina lui mit le marché en mains : c'était le mariage, ou bien elle retournait là-bas pour se marier avec un autre prétendant. Et le mariage eut lieu après quelques semaines de fréquentations. Ce fut une union heureuse, malgré la pauvreté, les déboires, le chômage et tout. Quand je fis leur connaissance, en 1932, je fus émerveillée de l'amour qui scindait ce couple, si bon, si chrétien. À Montréal… En quittant la Baie-du-Febvre, la familla s'installa à Saint-Henri, quartier ouvrier et démuni entre tous, dans une maison qui avait été ou une maison de prostitution, ou quelque chose d'aussi louche. La mère Célina usa ses forces à rendre le logement propre et convenable, mais ce ne fut pas facile. Deux enfants, Hormisdas et Paul souffrirent d'étranges maux d'yeux, qui les rendirent presque aveugles quelques temps. On attribua cette avanie à la malpropreté des lieux, ou à une quelconque maladie vénérienne, mais cela est fort contestable, vu que les connaissances médicales de Célina étaient limitées et parfois bizarres. Puis il y avait les punaises, la grande calamité de ce temps-là. Que ne fit-on pas pour s'en débarrasser! Un dimanche, à la messe, Célina sentait une démangeaison incoercible dans ses cheveux. Aussitôt de retour à la maison, elle enleva son chapeau, l'examina à fond et découvrit, ô horreur! Une couronne de punaises alignées dans la doublure, sous le ruban, qui alors bordait tous les chapeaux! Inutile de dire qu'on fit une chasse meurtrière et ardue à ces indésirables. Grand-père Georges eut un accident grave. Perché près de la voute d'une église, il fit une chute verticale et tomba sur la tête. La convalescence fut longue avec comme conséquence le chômage et la rareté de l'argent. Mais les Morin étaient fiers. Un jour, une voiture chargée de bois s'arrêta à leur porte : c'était la Saint-Vincent de Paul qui envoyait ce don, qui fut refusé catégoriquement! Il semble que grand-mère Célina alla faire des ménages durant cette période, mais je n'en suis pas sûre; chose certaine, plus tard elle fit des grands ménages, du lavage de plafonds et des travaux très durs, pour donner un peu de confort à sa nombreuse progéniture. Chère bonne Célina, si gaie, si courageuse! Avant de s'installer définitivement à Ville-Emard, la famille Morin vécut sur une terre à Ste-Anne du Saut, pendant quelques temps. Là encore, le père ne put supporter le climat humide, les rhumatismes le clouant souvent au lit. Je ne sais combien de temps dura le séjour sur cette ferme, mais les souvenirs de Célina lui rappelaient un temps heureux. Vers l'âge de sept ans, Célina (Justine) souffrit d'une maladie très grave, difficile à identifier, car en ce temps-là on ne recourait que rarement au médecin. Son visage était tuméfié, elle voyait à peine. Un quêteux de passage, hébergé chez les Nadeau, offrit aux parents d'aller chercher à Québec des herbes qui apporteraient la guérison à la malade. Condition : ramener le quêteux à Québec. Le trajet se fit en boghey, un long voyage! Les médicaments du quêteux firent merveille : un flot de pus s'échappa par une incision placée dans le cou et ce fut la guérison. Une cicatrice indélébile resta pour la vie le témoin de cette épreuve. On croyait beaucoup aux revenants et aux apparitions, aux appels d'outre-tombe, dans ce monde ancien. Célina, pour une faveur obtenue, avait promis de réciter vingt chapelets pour le salut d'une âme du purgatoire, mais elle ne remplit pas ses obligations. Survinrent des faits étranges - j'ai oublié d'en prendre note - qui bouleversèrent la paix du cœur et de la maisonnée. Alors la mère de Célina lui demanda : " As-tu récité tes prières pour les âmes? ", " Non " répondit Célina. " Alors monte dans ta chambre et récite tes chapelets. Célina jugea que vingt chapelets c'était fastidieux, elle prit une décision personnelle, qui donna ceci : " Je vous salue Marie. - Sainte-Marie, Je vous salue Marie, sur chaque grain de chapelet. Après cela, elle était quitte de ses obligations. Il s'agissait d'y penser! Célina Nadeau Morin était une maîtresse femme. Autoritaire, enjouée, courageuse, honnête, active, pieuse et quoi encore? Sa grande piété était empreinte de jansénisme et même d'opiniatreté, c'est-à-dire de fidélité aux lois périmées de l'Église. Ainsi, la loi de l'abstinence fut un peu adoucie : la soupe aux pois au petit lard et les fèves, les " beans " avec viande revinrent sur la table du vendredi, pourvu que la viande disparaisse dans le tout! Célina servit ces mets typiquement québécois pour la famille, mais s'abstint toujours d'en consommer le vendredi. Le plus grand chagrin de Célina fut le sacrifice de sa maison de Ville-Emard. Elle fut obligée de suivre les Dubuc à Saint-Nicolas de Lévis, où elle mourut après un jour de maladie. Georges et Célina furent un couple modèle. Ils étaient très attachés l'un à l'autre. Ils eurent quatorze enfants dont neuf survécurent. Après la dernière naissance, la mère était vraiment comblée. Elle demanda à un prêtre si elle pouvait prier pour ne plus avoir d'enfant! La recette pourtant était simple… Enfants : Ernest né le 4 déc 1888-19? Hormisdas né le 26 oct 1901-1983 Paul né le 7 mai 1905 Hector né le 7 déc 1907 Joseph Edgar né le 17 fév 1899-1984 Claire (Clairina) né le 14 avril 1897-197? Alice (Alicia) née le 6 mars 1903-19? Théodora née le 20 juillet 1895-197? Marie (Marianna) née le 21 août 1900-198? Mélina mourut à douze ans d'une crise d'appendicite Théodore I ne vécut pas Théodore II ne vécut pas Théodora ne vécut pas À l'âge de soixante-dix ans, elle devint plus ou moins sourde. Elle se délectait dans la lecture de petits romans sentimentaux, du genre Bonne Presse. Elle pleurait à chaudes larmes pour les malheurs des personnages, surtout des orphelines; les méchants devaient se convertir avant l'épilogue, sinon le roman était mauvais! Assise devant la fenêtre de la cuisine, dans le crépuscule du jour finissant, Célina, un livre à la main, ne pouvait plus continuer sa lecture. " Quel dommage, je suis sourde, et voilà que je deviens aveugle! " dit-elle tristement. Elle avait tout simplement oublié de porter ses lunettes! Tout le monde s'esclaffa! Célina s'efforça de donner la meilleure éducation chrétienne à sa famille. Chaque soir, on s'agenouillait ensemble pour réciter la très longue prière : " Mettons-nous dans la présence de Dieu et adorons-le etc. " et suivaient les dix commandements de Dieu, le De Profundis, les douze Pater, des tertiaires, les litanies de la Ste-Vierge, le chapelet. Pour les retardataires qui avaient voulu éviter ces pâtenôtres, Célina recommençait, en abrégeant toutefois. Ainsi la progéniture abordait la nuit dans les bras du Seigneur. Pas de faiblesse non plus pour les traînards au lit du matin : il fallait assister à la messe. " Je crains Dieu qui passe !". Combien de fois n'ai-je pas entendu ces paroles! Et la chère Célina fut bien mal récompensée en ce bas monde; son zèle produisit des effets inattendus, car les enfants, devenus adultes, oublièrent souvent le chemin de l'église et négligèrent plus ou moins les préceptes évangéliques.