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 elle-même. Pour atteindre cette boîte, nous n'avions qu'à soulever la trappe. Que d'ingéniosité chez ces bonnes gens d'autrefois; ils savaient se débrouiller. Avec la famille qui grandissait, nous avons fini par avoir trois chambres à coucher sur cet étage et un petit grenier. Dans ce grenier, où j'aimais beaucoup aller me réfugier, il y avait un pupitre de maîtresse et des livres, mes amis de toujours. Ici, il faudrait dire que l'école du rang était bâtie sur notre terre. Or en 1907, cette vieille école fut remplacée par une neuve et la vieille fut transportée près de notre maison pour devenir "la soue à cochons", le dictionnaire Larousse dirait: "Une étable pour y loger les porcs". À part le pupitre de la maîtresse, nous avions aussi hérité de la grille-confessionnal qui servait à Monsieur le Curé alors qu'il confessait les élèves dans ses visites aux écoles. Au grenier, maman serrait les rouets, le sien et celui de grand-mère, le métier à tisser, la tournette, le dévidoir, etc. Plus tard, on y entassera les unes sur les autres, les chaudières pour l'eau d'érable afin de les empêcher de  rouiller. Il m'arriva de les emprunter à la cachette pour m'en faire des élèves; quoi de mieux lorsqu'on est enfant, que la vocation d'institutrice nous fascine, qu'on a un pupitre, des livres mais pas d'élèves. Il faut dire que j'aimais être la maîtresse, ce qui ne plaisait pas toujours à mes frères et soeurs. Comme je les comprends bien aujourd'hui.

        Je me rappelle le grand banc derrière la table de la cuisine, les  tartines de crème du vendredi matin, les bonnes crêpes au lard bien chaudes, la galette de sarrasin, le jardin tout près, la talle de cerisiers, les cerises de France, les nombreux pommiers, la huche à pains, la planche à laver, les cuvettes en zinc (sous lesquelles j'aimais me promener à la pluie, ca faisait zic, zic, zic). le moulin à laver le linge que l'on actionnait avec un bras, la baratte à beurre, le grand chaudron de fer, près de la maison, que l'on chauffait avec des bûches et qui servait pour faire bouillir le linge ou encore à confectionner le bon savon du pays bien doré. Parfois aussi papa s'en servait pour faire bouillir l'eau d'érable durant certains printemps, pour le bonheur de ses enfants. La condescendance de notre père allait jusque là, surtout si cette période de l'année sollicitait son aide pour les animaux encore à l'étable.

        Je me souviens du vieux sofa dans la cuisine sur lequel papa aimait nous raconter des histoires ou encore nous chanter des chansons; il chantait très bien notre père; il savait aussi jouer du violon et de l'accordéon. Sur ce même sofa couchait le quêteux; jamais je n'ai vu maman refuser le gîte à un pauvre du bon Dieu comme elle disait. Ces pauvres portaient généralement une ardoise au cou avec la signature de leur curé. La grande horloge de la ferme, était si vénérable que seul papa avait le droit de la remonter; mais privilège spécial, nous les enfants avions le droit de l'ouvrir pour y prendre les sous que papa y déposait pour les quêteux. Je revois aussi les colporteurs (pedlers) avec leur étalage de marchandises, ce qui excitait notre curiosité, mais les pedlers ne faisaient pas fortune chez nous, tout au plus une bouteille de painkiller pour soulager tous les maux. Comment ne pas rappeler ici les grosses caisses qui nous arrivaient des États envoyées par ma tante Clara, la femme de mon oncle Érasme, le frère de papa. Ces caisses pleines de linge, de fuseaux de fil, de boutons et de bebelles aussi pour les enfants? En ce temps-là papa se rendait travailler aux États en hiver afin de gagner un peu d'argent pour acheter des machines agricoles, les semences du printemps ou encore pour payer un terme de terre. Le bonheur de recevoir chacun notre carte de Noël à notre nom, encore une délicatesse de ma tante Clara.