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 Faut-il parler des sarclages au jardin ou en plein champ, la semence des patates pour laquelle les services des enfants étaient réclamés? Nous étions bien avertis de n'arracher que les mauvaises herbes et pour les patates donc, il fallait au moins un germe sur le morceau que nous mettions en terre et tant d'espace entre chaque semence. C'était moins drôle lorsqu'il nous fallait aller ramasser les bêtes à patates car quelques semaines plus tard après la semence, ces vilaines petites bêtes barrées se multipliaient en vitesse et il nous fallait les ramasser au plus vite; en ce temps-là, il n'était pas question d'arrosage pour les détruire. À l'automne, nous allions tous dans le champ ramasser ces belles patates roses ou blanches. Parfois un seul pied rapportait jusqu'à 10 ou 12 belles patates du petit morceau semé au printemps. Au moment de la récolte, il fallait faire triage: les petites étaient mises de côté pour la nourriture des animaux; les autres séchaient sur le champ et ensuite on les transportait dans les parts de la cave. Que dire de notre participation à la récolte des foins? Râteler, mettre en vailloches, fouler le foin sur la charrette ou dans la tasserie, tout autant de travaux auxquels les filles pouvaient participer. Ma part en tout cela était assez mince car maman me réclamait plus souvent qu'à mon tour pour la garde des enfants à la maison, ce qui ne me plaisait pas toujours. Les gros tas de roches qu'on voyait ici et là dans les champs, quel travail onéreux que de ramasser de la roche après les labours de l'automne; ce travail était surtout celui des hommes. Plus tard les tracteurs sont venus à la rescousse et , au moyen de ces lourdes machines, appelées "bull-dozer" on enterrait les tas de roches, mais alors fini les groseilles, les gadelles et autres petits fruits qui poussaient si bien autour des tas de roches.

        Disons donc combien c'était agréable pour nous les jeunes d'aller en pique-nique à la petite source non loin de la maison; l'eau était si claire et si froide et bonne. Nous allions aussi sous le gros érable proche la clôture du voisin, Monsieur Letarte ou encore dans la petite talle de bois où il y avait des noisettes et des cenelles avec lesquelles nous nous fabriquions des colliers et des chapelets. Que dire de la grosse insulte à nos petits voisins quand nous leur disions: "Tarte à la framboise". Madame Letarte était bel et bien "Rasberry" de son nom de famille, framboise en français. Il me faudrait parler de la cueillette des fraises des champs si bonnes, si sucrées, des framboises à l'orée du grand bois et même de bleuets. Les garçons étaient meilleurs que les filles pour toutes ces cueillettes de petits fruits et maman toujours bien contente de nos trouvailles pour préparer ses pouddings ou des confitures. Sur la terre, nous trouvions aussi des groseilles, des gadelles, de la rhubarbe et des plantes médécinales que maman mettait en réserve pour soigner nos bobos en hiver. Il y avait aussi certaines racines avec lesquelles notre mère savait nous tonifier. Je me souviens de cette fameuse huile de castor (de ricin) qu'il nous fallait prendre à l'occasion de nos grippes tenaces. Maman n'en donnait qu'aux malades et toujours avec une bonne cuillérée de confiture aux fraises ou de la bonne tire d'érable tout exprès pour les malades; je soupçonne qu'elle devait y ajouter certain médicament. Que de souvenirs et j'en passe beaucoup.

        En ces années écoulée jusqu'à mon entrée en religion, je veux signaler encore trois événements plus marquants: D'abord la grippe espagnole en 1918. C'était en automne après le Congrès Eucharistique de Victoriaville et surtout après l'armistice qui terminait l'affreuse guerre 1914-1918. Cette vilaine grippe faucha plusieurs membres de nos familles. L'église fut fermée, les écoles de même. On ramassait les cadavres sitôt après la mort et on les enterrait immédiatement à cause de la contagion. Je revois un cousin gros, grand et fort; il passe devant chez nous vers une heure de l'après-midi pour aller faire moudre du grain chez Monsieur Baril en